L'origine du normannique étant intimement liée à la manière dont s'est développée l'identité régionale normande, les Normands constituent évidemment le premier groupe auquel on pense en tant que potentiels locuteurs.
Le normannique peut en effet être utilisé, au même titre que les illustrations de drakkars ou de Vikings omniprésentes en Normandie, pour afficher ou légitimer un sentiment d'appartenance au monde scandinave.
L'identité normande s'est construite autour de la figure mythique du Viking. D'abord associée aux ducs, puis au paysan du nord de la Normandie, elle tend maintenant à s'attacher à la région. C'est désormais par ce biais qu'elle concerne l'ensemble des Normands.
Contrairement à la langue normande qui symbolise la région parce qu'elle constitue l'héritage familial de certains de ses habitants, le normannique n'appartient aux Normands que parce qu'il reflète l'identité régionale. Rassembleur, le normannique met tous les Normands sur un pied d'égalité, qu'ils habitent ou non en Normandie et qu'ils aient ou non un héritage familial normand.
Dans son ouvrage inaugurant la revitalisation du cornique, une langue celtique originaire des Cornouailles anglaises, Henry Jenner motive l'apprentissage de la langue par une phrase lapidaire : "because they are Cornishmen" (parce qu'ils sont Cornouaillais).
Henry Jenner serait peut-être surpris de voir combien les individus qui agissent pour la valorisation d'une langue ne sont pas toujours eux-mêmes des locuteurs natifs ou même des descendants de locuteurs natifs. La langue normande de l'île de Jersey ‒ le jersiais ‒ est par exemple portée par des activistes qui n'ont pour certains aucun ancêtre originaire de l'île.
L'apprentissage de la langue peut parfois être une manière de prendre racine dans la région où l'on habite, mais peut aussi être motivé par une infinité d'autres raisons. Selon les mots Geraint Jennings, membre important de la Société Jersiaise, "le jersiais est un cadeau pour l'humanité".
Vacanciers, retraités, entrepreneurs, passionnés de langues... Il est impossible de lister tous les profils de personnes qui peuvent s'engager activement dans l'usage et la promotion d'une langue. Or, une langue appartient nécessairement à ceux qui s'en emparent et qui la font vivre.
Ce principe d'une langue pour tous s'impose à qui veut sincèrement revitaliser une langue. Imaginons que les locuteurs représentent l'oxygène grâce auquel une langue peut se maintenir en vie. Exclure une partie de ces locuteurs en fonction de leur appartenance à un groupe ethnique, confessionnel ou politique revient à étouffer la langue et à la condamner à l'oubli.