Il est frappant de voir comment les auteurs des XIXe siècle présentent la langue normande dans une continuité fantasmée avec la langue des Vikings. Ces discours montrent combien le besoin d'identification au monde scandinave s'installe après la période romantique. Il en découle au cours du XXe siècle plusieurs tentatives isolées de rétablir une langue scandinave en Normandie afin de marquer cette identification.
Cette identification participe simultanément à un besoin d'appartenance et à un besoin de distinction qui, l'un comme l'autre, ne sont pas négligeables. Plusieurs études menées auprès de populations minorisées montrent que l'expression d'une appartenance participe au bien-être personnel. L'expression d'une différence a des effets semblables et peut également contribuer au bien-être social. Les études en psychologie sociale montrent que, lorsqu'ils mettent en valeur leurs propres spécificités personnelles, les individus en marge d'un groupe ont tendance à adopter une attitude moins négative envers les individus extérieurs à ce même groupe. Le normannique peut donc servir à combler ce besoin d'identification et ainsi participer au bien-être personnel et au bien-être social.
Le linguiste de Gorog remarque dès les années 1950 comment la méconnaissance des langues scandinaves, et notamment la confusion entre la langue des Vikings et sa variété islandaise, dessert l'étude du paysage linguistique normand. Ce constat peut aussi être appliqué à des ouvrages académiques récents et largement diffusés qui présentent pourtant des erreurs grossières quant à la prononciation et la grammaire de la langue des Vikings. En reflétant spécifiquement la variété parlée en Normandie, le normannique a pour fonction de faire connaître la variété des parlers scandinaves et de servir d'outil de comparaison fiable dans les études normandes.
Faire revivre cette langue a une fonction pédagogique comparable à la reconstitution de sites archéologiques. Cela créé une voie de médiation auprès au public et permet à ce dernier d'interagir de manière intime et concrète avec la méthode scientifique et les conclusions qu'elle apporte.
Les conclusions scientifiques revêtent parfois une fonction patrimoniale en ce qu'elles permettent d'appuyer un discours d'identification. Par conséquent, le public tend à vouloir figer des savoirs qui sont pourtant par essence voués à évoluer, et il perçoit ainsi les avancées de la science comme une menace contre son intégrité. Faire du normannique une langue vivante permet de séparer les conclusions scientifiques et les marqueurs d'identification, ce qui participe au développement d'une recherche scientifique sereine et d'une expression de soi apaisée.
Le normannique est enfin une opportunité unique. L'apprentissage d'une langue est souvent freinée par un sentiment d'insécurité linguistique provoquée par l'angoisse de commettre un écart par rapport à une norme stricte. Le normannique n'ayant pas de locuteurs natifs, il constitue une opportunité unique de débuter l'apprentissage des langues scandinaves de manière décomplexée, ce qui permet ensuite d'appréhender les autres langues scandinaves avec une confiance en soi renforcée.
Les langues scandinaves étant essentiellement intercompréhensibles à l'écrit, l'apprentissage du normannique permet aussi de comprendre rapidement des textes écrits dans d'autres langues scandinaves.
Enfin, le normannique est une expérience de science participative permettant de vérifier certaines hypothèses quant à la revitalisation des langues. Il contribue donc également à la revitalisation d'autres langues, disparues ou en voie de disparition.