Les ouvrages de vulgarisation tendent à confondre la langue des Vikings parlée en Normandie au cours des Xe et XIe siècles avec le vieil islandais du XIIe siècle. Bien qu'apparentées, ces variétés sont pourtant géographiquement et historiquement éloignées.
L'adjectif "normannique" est introduit en 1954 pour qualifier un élément linguistique normand d'origine scandinave. Il s'impose donc naturellement pour désigner la variété de la langue des Vikings parlée en Normandie et, par extension, sa forme revitalisée.
La revitalisation linguistique est une entreprise qui consiste à inverser le processus de disparition des langues en incitant de nouveaux locuteurs à s'emparer d'une langue déclinante ou disparue. Il existe trois stratégies distinctes : le renouveau, l'adoption et la recréation.
Le renouveau vise à faire revivre une langue telle qu'elle était parlée autrefois. Cette stratégie n'est possible que lorsque l'on dispose d'un nombre important de sources attestant la structure de la langue ciblée et que la conscience de cette dernière est encore suffisamment présente au sein du groupe. C'est par exemple le cas de l'hébreu moderne, dont la réussite est ancrée dans l'usage liturgique de l'hébreu ancien. Mais même dans ce cas, une langue revitalisée subit inévitablement des changements considérables de sa structure.
L'adoption consiste quant à elle à faire sienne la langue d'un autre groupe. Il a existé des tentatives dans ce sens en Normandie. Cette stratégie requiert toutefois l'accord du groupe dont la langue est empruntée et n'est donc véritablement réalisable que parmi des populations de taille modeste. Sa réussite n'est d'ailleurs attestée qu'en Australie parmi des populations aborigènes. Sans cette reconnaissance, l'appropriation pleine et entière de la langue ciblée est peu probable.
Enfin, la recréation est l'adaptation consciente d'une base linguistique attestée afin de répondre à des enjeux pratiques. Elle est particulièrement indiquée lorsque la langue ciblée est peu attestée ou qu'elle est très différente de la langue mère des nouveaux apprenants. C'est le cas de la langue des Vikings en Normandie, dont il n'existe que des traces indirectes et dont les variétés parentes présentent des structures complexes qui rendent leur apprentissage difficile à un public francophone.
C'est dans cette dernière stratégie que s'inscrit le normannique. Sa recréation est guidée par trois principes hiérarchisés répondant chacun à une contrainte conditionnant la réussite d'un projet de revitalisation.
Principe d'acceptabilité. Pour emporter une large adhésion nécessaire à la bonne mise en œuvre d'un projet de revitalisation linguistique, le normannique doit refléter l'identité régionale normande et donc être reconnu sans ambiguïté comme s'inscrivant dans parenté avec les langues scandinaves. Chaque propriété du normannique doit donc être attestée dans au moins une langue ou un dialecte scandinave.
Principe d'autonomie. Pour parer au sentiment d'insécurité linguistique qui tend à freiner l'usage d'une langue, le normannique doit afficher une spécificité régionale vis-à-vis du monde scandinave. Il doit donc s'inscrire dans une continuité avec le paysage linguistique normand. Chacune de ses structures est donc basée sur une structure attestée en Normandie à condition que cela ne contrevienne pas au principe d'acceptabilité. En pratique, cela signifie qu'un mot, un changement phonétique ou une perte de catégorie grammaticale présent dans la toponymie, la langue normande ou le français, et qui est également attesté dans un parler scandinave, doit être constitutif du normannique.
Principe de faisabilité. Pour que sa revitalisation soit réalisable en pratique, le normannique doit être aussi facile à apprendre que possible. Il doit donc présenter un minimum d'irrégularités tant que cela ne contrevient pas aux principes d'acceptabilité et d'autonomie.
Il existe enfin un principe qui dépasse hiérarchiquement les autres mais qui ne peut être introduit qu'à partir du moment où la langue entre dans une phase d'utilisation concrète.
Principe d'usage. Pour que le normannique soit considéré comme une langue naturelle, l'usage doit l'emporter sur tous les autres principes. Une construction qui contrevient aux principes précédemment décrits mais qui est commune, régulière et qui s'installe naturellement est parfaitement légitime en normannique.
L'application de ces principes permet de définir une langue scandinave la plus proche possible du français. Non seulement cette variété présente l'équilibre optimal entre les différentes contraintes qui conditionnent la réussite d'une entreprise de revitalisation linguistique, mais elle reproduit également les changements probables que la langue des Vikings aurait subis dans un environnement où le français domine.
En effet, la disparition progressive d'une langue entraîne généralement de profonds changements de sa structure. Certains éléments étrangers à la langue dominante tendent à disparaître, de sorte que les deux langues finissent par se ressembler peu à peu. D'autres se maintiennent toutefois, notamment lorsqu'ils ont un rôle fonctionnel essentiel.
Ces deux mécanismes sont reproduits par les principes d'acceptabilité et d'autonomie, lesquels rapprochent le normannique des structures du français mais maintiennent les éléments communs à tous les parlers scandinaves. En cela, le normannique peut être défini comme la forme la plus probable qu'aurait revêtue la langue des Vikings si cette dernière avait survécu en Normandie.